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Chilufya Mutale Mwila a bâti sa carrière autour de la conviction qu’aucun individu ne devrait être exclu des services financiers. En Afrique australe et orientale, où des millions de personnes restent sous-bancarisées ou non bancarisées et où les entreprises dirigées par des femmes et les PME sont souvent privées de services bancaires, elle s’efforce de combler cette lacune grâce à sa fintech eShandi. L’entreprise, qui opère en Zambie, au Zimbabwe, en Afrique du Sud, au Kenya… a servi plus de 1,5 million de personnes en plus de dix ans. Lors de l’African Financial Summit (AFIS) qui s’est tenu récemment à Casablanca, elle a été honorée par le prix « African Woman in Finance Award » pour son engagement en faveur de l’inclusion financière en Afrique.
C’est grâce à son père, que Chilufya Mutale Mwila fait ses premiers pas dans l’entrepreneuriat à seulement 19 ans, en se lançant dans la vente de vêtements tout en poursuivant ses études universitaires. Plus d’une décennie plus tard, elle s’impose comme une entrepreneure à succès qui promeut l’inclusion financière en Afrique.
Son dévouement pour l’inclusion financière des personnes défavorisées trouve ses racines dans son enfance. Jeune fille, elle est témoin des réalités auxquelles sont confrontés les entrepreneurs, à travers l’expérience de son père, mais aussi grâce à ses premiers pas dans le monde des affaires. « Mon père a toujours été dans les affaires. Je le voyais courir partout pour s’occuper de moi et de mes frères et sœurs. Je voyais également à quel point il était difficile pour lui d’obtenir des financements et comment son activité était éprouvante », raconte-t-elle à Africa Women Experts.
En 2019, elle cofonde PremierCredit, rebaptisé par la suite eShandi, après avoir travaillé plusieurs années pour Finca Zambia, une société de microfinance dédiée aux petites entreprises et aux personnes non bancarisées, et en tant que PDG d’ExpressCredit, une société financière axée sur la technologie qui accorde des prêts aux employés du secteur privé et public. « Après avoir travaillé pour ces deux entreprises, j’en suis arrivée à la conclusion qu’il était plus important d’utiliser la technologie pour aider ceux qui en avaient vraiment besoin plutôt que ceux qui avaient déjà accès aux services bancaires. C’est pourquoi nous avons fondé eShandi », nous explique-t-elle.
D’après la Société financière internationale (SFI), 40 millions de petites et moyennes entreprises en Afrique subsaharienne souffrent d’un manque de financement annuel évalué à 330 milliards de dollars, ce qui constitue une importante perte de revenus potentiels pour le continent. De plus, on dénombre plus de 90 millions d’individus sans compte bancaire en Afrique, représentant environ 57 % de la population du continent. Ces groupes sont confrontés à de nombreux défis administratifs pour l’ouverture d’un compte bancaire simple. Des exigences telles que la nécessité de fournir une référence ayant eu un compte pendant au moins deux ans, en plus de procédures souvent longues et compliquées, font que les services bancaires formels leur sont largement inaccessibles. L’absence de garanties telles que des biens immobiliers les empêche en outre d’accéder au crédit.
1,5 million de clients autonomisés sur tous les marchés d’eShandi

En phase avec son nom eShandi, qui signifie en langue zambienne «mettre le pouvoir entre vos mains », la Fintech tire parti de la technologie et des services bancaires mobiles pour rendre les services financiers plus accessibles, efficaces et rapides pour ceux qui sont exclus du système financier conventionnel. « Nous utilisons la technologie pour accélérer le processus. En Afrique, les gens utilisent davantage le mobile money. Nous collaborons donc avec des opérateurs de réseaux mobiles déjà présents dans toute l’Afrique. Rien qu’en Zambie, ils ont accès à 12 millions d’abonnés. Grâce à nos partenariats, nous avons accès à 12 millions de clients et sommes en mesure de les servir instantanément », explique-t-elle.
La fintech offre une variété de services financiers : crédits, portefeuilles électroniques, solutions de paiement et assurances vie à prix accessibles. Les crédits sont distribués en fonction de la capacité individuelle des clients, avec un plafond fixé à 60 000 dollars et une durée de remboursement s’étalant sur 5 ans. L’entreprise utilise la technologie USSD pour offrir à ceux qui n’ont pas de connexion internet la possibilité d’obtenir un financement en quelques minutes. Les utilisateurs de smartphones peuvent aussi se connecter aux services grâce à l’application en ligne, et des points de contact ont été mis en place pour mieux répondre aux demandes des clients de l’entreprise. « Je pense que ce type de technologie est révolutionnaire, car il évite aux gens d’attendre deux semaines. Si quelqu’un a besoin d’argent, il doit pouvoir l’obtenir ici et là. Et c’est ce que nous sommes en mesure de faire », explique-t-elle. Pour l’entrepreneure zambienne, débloquer des capitaux instantanés pour les PME est cruciale pour stimuler la croissance économique de l’Afrique, car les PME constituent le pilier des économies en développement.
Après son lancement en Zambie, l’entreprise s’est étendue au Zimbabwe, au Kenya et en Afrique du Sud, où elle cible le même segment de clientèle. «Notre plateforme contribue aussi à aider les Zambiens travaillant en Afrique du Sud, notamment dans le secteur informel, en leur permettant d’expédier de l’argent chez eux de manière sécurisée, d’épargner et d’investir. » Ils obtiennent donc une puissance financière. « Ils ont aussi la possibilité d’obtenir des emprunts », précise-t-elle. Actuellement, eShandi a participé à l’inclusion financière de 1,5 million de clients dans tous ses marchés.
Récompensée par le prix « African Woman in Finance Award »
Au fil des années, Chilufya a obtenu de multiples récompenses pour ses initiatives en faveur de l’inclusion financière des catégories défavorisées. Lauréate Presidential Precinct, elle a été nommée parmi les femmes entrepreneures gagnantes Ernst & Young en 2022. Elle a reçu récemment le prix « African Woman in Finance Award » lors du Sommet financier africain (AFIS) 2025. « J’étais profondément émue. C’était une énorme confirmation et un hommage à tout ce pour quoi nous avons sacrifié nos nuits, ainsi qu’à la joie que nous tirons de notre travail. Et quand vos pairs reconnaissent votre travail, cela vous encourage à persévérer. Cela vous rappelle que vous êtes sur la bonne voie et cela vous encourage à continuer à faire ce que vous aimez », dit-elle.
Aujourd’hui, l’entrepreneure se consacre à inspirer et à autonomiser d’autres femmes entrepreneures, en partageant son expérience pour les encourager et les guider. « Au cours de notre parcours, mon époux et moi avons rencontré de nombreux obstacles. Il n’était pas aisé pour les gens de croire en notre idée. Ils trouvaient insensé que nous quittions nos emplois bien rémunérés pour nous lancer dans l’entrepreneuriat. Nous n’avons pas bénéficié d’un grand soutien. Cependant, au fur et à mesure, nous avons établi un réseau qui nous a été d’une grande aide. J’ai appris gratuitement auprès d’autres personnes. Aujourd’hui, je rends la pareille », dit-elle.
À mesure que son entreprise se développe, l’entrepreneuse zambienne ambitionne d’amplifier son impact en se lançant dans le capital-risque dans les années à venir, avec pour objectif de soutenir des entreprises comme la sienne.
Danielle France Engolo