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Sarah Macharia, la Kenyane à la tête du “Global Media Monitoring Project”


Sarah Macharia dirige depuis dix-sept ans le Global Media Monitoring Project (GMMP), la seule étude mondiale sur l’égalité des genres dans les médias. La Kenyane est aussi secrétaire générale de l’Alliance mondiale sur les médias et le genre (GAMAG), qui coordonne les efforts visant à accélérer la mise en oeuvre de la section J de la Déclaration et du Programme d’action de Pékin axée sur les femmes et les médias.

Avant la promotion des droits des femmes, Sarah Macharia aspirait à une carrière de traductrice et d’interprète français-anglais. Mais sa vie a pris une toute autre tournure. Après une année d’études en France et de travail comme fille au pair, elle intègre les organisations féministes, grâce à une opportunité au sein de FEMNET, le réseau de développement et de communication des femmes africaines. Depuis, elle poursuit son engagement et est passée de la société civile à des postes au sein d’organisations panafricaines et intergouvernementales, dont la Commission Economique pour l’Afrique, ainsi que dans des organisations internationales.

Depuis 2007, elle est responsable du GMMP, une enquête initiée lors d’une conférence organisée pour les femmes communicatrices par trois organisations internationales, notamment l’Association mondiale de communication chrétienne (WACC), l’International Women’s Tribune Center et ISIS-Manille. C’est en 1995, lors de la conférence de Pékin, que l’approche d’enquête consistant à monitorer les médias est reconnue comme moyen de promotion de l’égalité des genres. Aujourd’hui, en tant que réseau mondial couvrant plus de 100 pays, le GMMP publie tous les cinq ans ses rapports à l’échelle mondiale, régionale et nationale pour permettre aux pays de mesurer et d’évaluer les progrès accomplis par leurs médias dans la réalisation de l’égalité des genres. Son dernier rapport de 2020 a porté sur plus de 30 000 contenus d’actualité à travers le monde. “Le GMMP monitore les médias d’information, notamment en ce qui concerne le genre, et analyse les modèles et tendances liés à l’inclusion des femmes en tant que voix, sujets, sources d’information, ainsi que leurs rôles au sein des rédactions, en effectuant des comparaisons dans le temps et entre les différentes zones géographiques », declare-t-elle.

Depuis Nairobi, où elle est retournée en 2019 après 18 ans passés au Canada, elle pilote le GMMP, de la mobilisation d’équipes dans plus de 100 pays, à la direction du groupe en charge de la mise à jour de la méthodologie, la formation des équipes pour comprendre et appliquer uniformément la méthodologie, la collecte et l’analyse des données, jusqu’à la rédaction du rapport mondial. Mais pour Sarah Macharia, «le GMMP est plus qu’un simple processus de collecte de données. Il s’agit de développer des compétences essentielles en matière d’éducation aux médias à l’échelle mondiale. C’est un mouvement social transnational en faveur de l’égalité des genres».

Au commencement, la conférence de Pékin de 1995

De Nairobi à Toronto en passant par Paris et Addis-Abeba, de l’éducation à la promotion des droits des femmes, le parcours de Macharia a été marqué par une série de changements qui ont tous renforcé son engagement en faveur de l’égalité des genres. En parlant des débuts de sa carrière, ses souvenirs la ramènent à la conférence de Pékin de 1995, qui a marqué un tournant décisif dans l’agenda mondial pour l’égalité femme-homme. « À cette époque, je venais de rejoindre FEMNET, une ONG panafricaine de femmes qui abritait alors le secrétariat chargé de convoquer le forum des ONG africaines à Dakar, une réunion préparatoire visant à élaborer un plan d’action commun que l’Afrique présenterait à la conférence de Pékin. C’est là que ma carrière a vraiment démarré », confie-t-elle à Africa Women Experts. Elle rejoint ensuite l’ancien Centre africain pour les femmes, devenu aujourd’hui le Centre africain pour le genre et le développement, une division de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), à Addis-Abeba, où elle travaille entre autres sur le suivi de la conférence de Pékin, notamment son bilan quinquennal.

Elle retourne ensuite à Nairobi où elle exerce comme consultante au sein du programme de la Banque mondiale pour l’eau et l’assainissement. Grâce aux conseils de son superviseur de l’époque, elle décide de poursuivre des études supérieures en sciences politiques, n’ayant à l’époque qu’une licence en éducation. « Mon supérieur m’a conseillé d’étudier les sciences politiques parce que le genre, c’est de la politique. J’ai donc commencé à chercher des universités proposant des programmes de sciences politiques axés sur les femmes et j’en ai trouvé une au Canada », raconte-t-elle. Elle réussit à immigrer au Canada en 2001 et finance ses études grâce à ses économies et des postes d’assistante à l’université. En 2002, elle obtient sa maîtrise et son doctorat en 2008.

Promotrice du rôle des médias dans l’égalité des genres

Pendant qu’elle rédige sa thèse, elle postule en 2007 au WACC pour un poste de responsable de programme genre. « Depuis mon enfance, l’égalité des genres a toujours été un sujet qui me préoccupe. J’ai été frappée par la façon dont ma mère défendait l’égalité des chances pour moi, pour les femmes du cercle familial et pour elle-même. J’ai été naturellement attirée par l’égalité entre les hommes et les femmes et lorsque le poste a été publié, j’ai soumis ma candidature. Tout travail en lien avec ce domaine me convenait. A l’époque, la question des médias et de la communication ne faisait pas partie de mes préoccupations « , explique-t-elle.

Alors qu’elle occupe ce poste, elle est préoccupée par les statistiques concernant l’écart entre les hommes et les femmes dans les médias et se penche sur la question. « Au départ, j’étais concentrée sur la recherche, puis j’ai commencé à m’inquiéter lorsque j’ai vu les chiffres. Les personnes qui participent au GMMP le font sous différents angles. La plupart s’intéresse à l’égalité de genre, d’autres aux médias et d’autres encore sont des chercheurs universitaires curieux. Lorsque nous sommes confrontés aux données, nous prenons collectivement conscience des schémas, des tendances et du fait que quelque chose doit changer », souligne-t-elle.

En un quart de siècle, confie-t-elle, la proportion de femmes dans les médias en tant que sources d’information est passée de 17 % en 1995 à 25 % en 2020. « Nos résultats montrent qu’il y a un changement, mais il est très lent. C’est l’une des raisons pour lesquelles les répertoires d’expertes sont nécessaires. Le changement prend du temps, surtout lorsqu’il s’agit de relations de pouvoir », explique-t-elle. Selon elle, l’une des causes de cette lenteur est le manque d’attention politique et financière accordée à l’égalité des genres et aux médias. « On accorde plus d’attention aux interventions techniques telles que l’amélioration de l’accès des femmes aux soins de santé ou la réduction de l’écart entre les sexes dans le domaine de l’éducation. Ce n’est pas le cas pour la question des médias qui traite des facteurs normatifs, structurels ou moins tangibles qui sous-tendent la discrimination à l’égard des femmes et des filles. Il est essentiel de reconnaître que les médias sont au cœur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il est important de comprendre que les médias façonnent la manière dont nous évoluons dans le monde en tant qu’êtres sexués et qu’ils sont un facteur de socialisation des enfants« , confie-t-elle. C’est d’ailleurs pourquoi elle se sert toujours des conclusions du GMMP pour attirer l’attention sur le rôle des médias dans la promotion de l’égalité de genre, comme en mars dernier à la Commission de la condition de la femme des Nations unies, où elle a participé en tant que panéliste à une session sur le rôle des médias dans la lutte contre les stéréotypes de genre.

Alors qu’elle travaille actuellement sur le prochain GMMP qui sera publié en 2025, Sarah Macharia espère que davantage de pays participeront à l’enquête, que le rôle des médias dans l’évolution des relations des sexes sera mieux reconnu et que plus de fonds seront consacrés à faire progresser l’égalité de genre dans et à travers les médias dans le monde entier.

 

Danielle France Engolo