Lorsqu’elle a entamé ses études, Justina Onumah n’avait ni mentor ni rôle modèle. Mais une fois à l’université, elle a décidé d’offrir aux autres ce qu’elle n’avait pas reçu. Depuis plusieurs années, elle accompagne les collégiennes et lycéennes ghanéennes et les encourage à poursuivre des études en STEM, tant qu’elles en sont passionnées. Chercheuse en économie du développement agricole, ambassadrice du Next Einstein Forum au Ghana, elle a récemment été sélectionnée pour la Bourse Mandela Washington.
Lorsqu’on lui demande comment elle en est venue à étudier l’économie agricole, Justina Onumah se met à rire. « Je n’ai jamais choisi d’étudier l’agriculture », dit-elle en riant, « mais plutôt l’un de mes professeurs au collège, sans même me consulter. » Au collège, elle n’aurait jamais pensé qu’un jour, elle étudierait les sciences, raconte-t-elle à Africa Women Experts. Convaincue que les sciences sont difficiles, elle tente de se réorienter vers les lettres, mais en vain. Elle finit par abandonner et à étudier les sciences de l’agriculture, avec comme matières principales la physique, la chimie, les mathématiques et l’agriculture générale. Une expérience éprouvante, mais pas une mission impossible, confie-t-elle. Car sans aucune orientation, elle commet des erreurs et doit faire face à leurs conséquences, comme par exemple choisir le mauvais lycée après son collège. « J’aurais pu choisir une école de catégorie A, mais j’ai choisi la seule école que je connaissais. Si seulement quelqu’un était là pour me guider… », dit-elle.
Mais, aujourd’hui, en regardant en arrière, Justina dit n’avoir aucun regret. Son expérience lui a permis de s’engager à conseiller et mentorer les collégiennes et lycéennes de son pays et les aider à déconstruire les fausses idées autour des Sciences Technologies Ingénierie et Mathématiques (STEM). «Au départ, je ne pensais pas que je serais capable de faire des sciences, à cause des idées fausses reçues sur les sciences et les mathématiques. Lorsque je me suis intéressée à la science, j’ai réalisé que ce n’était pas un « démon » comme on nous l’a fait croire. En fait, rien n’est facile dans ce monde, tout ne devient facile que si l’on s’y consacre », dit-elle.
Aujourd’hui, c’est le message qu’elle transmet aux lycéennes de son pays, à chaque fois qu’elle en a l’occasion.
Etablir les ponts entre décideurs politiques et chercheurs
Ayant rêvé dans son enfance d’être présentatrice TV, ensuite avocate et plus tard, banquière, ces « carrières fantaisistes » comme elle les appelle, c’est plutôt dans le milieu de la recherche que Justina Onumah a atterri. « J’ai choisi de me spécialiser en économie agricole, car on disait que ça permettait de travailler dans les banques, un métier fantaisiste (rires). A l’époque, je ne pense même pas que la recherche était même dans mon esprit », dit-elle.
En 2008, elle obtient un diplôme de premier cycle en technologie agricole avec une spécialisation en économie et une extension de l’Université des études sur le développement. Elle poursuit ensuite ses études à l’université du Ghana en 2009, avec un master en économie agricole, et participe à un programme d’échange d’un semestre entre l’université du Ghana et l’université de Guelph au Canada, ce qui lui permet de passer quelques mois hors de son pays. Une expérience enrichissante qui lui ouvre les yeux sur le monde, confie-t-elle.
Après avoir obtenu sa maîtrise en 2012, elle est employée comme chercheuse scientifique à l’Institut de recherche sur les politiques scientifiques et technologiques du Conseil pour la recherche scientifique et industrielle (CSIR) au Ghana. En 2014, dans le cadre d’une initiative de l’African Women in Agriculture and Research Development (AWARD), elle bénéficie d’un programme de mentorat, qui lui permet d’être encadrée par une chercheuse de son institut. Une expérience qui impacte énormément son parcours, confie-t-elle.
En 2020, elle décroche un Doctorat en Etudes du développement à l’Université du Ghana en collaboration avec l’Université de Bonn en Allemagne et passe 6 mois à l’Université d’Aalborg au Danemark en tant que Doctorante invitée en études sur l’innovation et le développement en 2018.
En 2019, elle est promue comme chercheuse principale à l’Institut de recherche sur les politiques scientifiques et technologiques (STEPRI) du Conseil pour la recherche scientifique et industrielle (CSIR) au Ghana. « Au sein de l’Institut, notre principal mandat est de pouvoir contribuer à l’élaboration des politiques. Nous ne nous contentons pas de produire des rapports techniques. Nous allons un peu plus loin en rédigeant diverses notes d’information sur les politiques à l’adresse des décideurs politiques », confie-t-elle à Africa Women Experts.
Si la recherche ne faisait pas initialement partie de ses aspirations professionnelles, Justina Onumah est aujourd’hui passionnée de ce travail. Désormais, elle s’intéresse particulièrement à établir des ponts entre les chercheurs et les décideurs politiques pour permettre à ces derniers d’élaborer des politiques fondées sur des preuves scientifiques. Un intérêt qu’elle a développé, notamment après une expérience dans le cadre du projet le projet Development Research Uptake in Sub Saharan Africa (DRUSSA), qui a changé sa vision de la relation entre chercheurs et décideurs politiques. « Nous avions travaillé avec les ministères de l’agriculture, de l’environnement, de la science et de la technologie, de l’innovation, du commerce et de l’industrie. C’était très intéressant. Je me suis rendue compte que les décideurs n’étaient pas hostiles aux résultats de recherche, mais que tout dépendait de la manière dont nous les leur présentions et du niveau d’engagement avec eux », explique-t-elle.
Ayant pu enfin trouver sa voie, elle estime qu’elle doit en retour aider d’autres. « Travailler avec un mentor marque vraiment une différence. J’ai vu l’impact que l’expérience du mentorat a eu dans ma vie et je me suis dit que je devrais rendre la pareille », explique-t-elle.
Impacter la vie des collégiennes et lycéennes ghanéennes par le mentorat
C’est au sein de son église, nous raconte-t-elle, qu’elle a commencé à encadrer les jeunes collégiennes, peu après avoir rejoint l’université. Avec le temps, ses petites réunions informelles se sont transformées en de véritables séances d’accompagnement et de conseils des jeunes filles.
De ces séances de mentorat, elle retient de belles histoires de filles, comme celle de cette jeune fille ayant arrêté ses études 6 ou 7 ans plus tôt, ne sachant que faire de sa vie et ayant assisté à l’une de ses réunions, nous raconte-t-elle enthousiaste. « Elle me disait qu’elle voulait faire quelque chose, mais ne savait pas quoi faire. Elle venait d’un foyer brisé comme moi. Elle pensait qu’il n’y avait aucun espoir pour elle »,confie-t-elle. Après plusieurs rencontres, la jeune fille a pu retrouver espoir, se réjouit Justina. Grâce à son soutien, elle devrait reprendre ses études en septembre prochain et s’inscrire dans un programme de premier cycle. « Je viens d’un milieu sans espoir et je pense qu’il est temps de donner espoir aux gens venant d’un milieu comme le mien, parce qu’il est possible d’être formidable si on y travaille dur et qu’on compte sur la grâce de Dieu »,dit-elle.
En plus de les encadrer, Justina sensibilise les collégiennes et lycéennes aux métiers liés aux STEM, en les inspirant par les parcours de réussite de femmes scientifiques, en leur présentant les aspects pratiques des sciences…, comme lors de la semaine des STEM qu’elle a organisée en mai dernier en tant qu’ambassadrice du Next Einstein Forum au Ghana. « Nous avions environ 65 lycéennes qui n’avaient aucune connaissance de la dimension pratique des sciences. Tout ce qu’elles savaient c’est ce qu’on leur enseignait à l’école. Nous avons organisé un atelier de robotique. Au début de la session, seules 15 sur 65 voulaient étudier les sciences. Mais à la fin, 80% d’entre elles voulaient s’orienter vers les STEM », explique –t-elle.
Aujourd’hui, Justina Onumah souhaite accompagner plus de collégiennes et lycéennes, en lançant une plateforme de mentorat. Un projet qu’elle espère concrétiser après son expérience actuelle à l’Université du Delaware aux USA, dans le cadre du Mandela Washington Fellowship, pour lequel elle a été sélectionnée parmi 32 jeunes leaders sur plus de 4000 candidats au Ghana. Un programme visant à renforcer les capacités des jeunes leaders africains en leadership pour avoir plus d’impact dans leurs communautés.
Danielle Engolo