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Hassna Aalouach : « La lutte contre les violences à l’égard des femmes doit être un combat humaniste et non genré »


Hassna Aalouach est une journaliste et écrivaine franco-marocaine qui milite contre les injustices. Elle est l’auteure de « Elles toutes, leurs histoires », son 2eouvrage paru en 2020, qui répertorie 152 cas de femmes victimes de féminicides de 2019 en 2020 en France. Africa Women Experts l’a interviewée à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes célébrée ce Jeudi 25 novembre.

Qui est Hassna Aalouach ?

Je suis une journaliste écrivaine franco-marocaine. J’ai été reporter dans plusieurs pays dont le Maroc et j’écris actuellement mon troisième ouvrage sur la femme saharienne. J’ai moi-même cette identité plurielle : française et saharienne et je trouvais intéressant de montrer que l’émancipation de la femme n’est pas si contemporaine comme on peut souvent l’entendre. Des sociétés ancestrales ont montré qu’elles offraient une autre place aux femmes bien avant que ce soit dans l’air du temps ; c’est le cas de la culture saharienne au Maroc. Depuis des siècles, la femme occupe une place égalitaire dans la société hassanie qui la valorise. Les familles sont garantes de la liberté de leurs filles et les violences physiques faites aux femmes sont fermement combattues. Lorsqu’un homme Sahraoui est violent avec sa femme, la tribu de l’homme violent le renie et il jette l’opprobre et le déshonneur sur toute sa famille.

D’autre part, l’éducation des jeunes filles sahraouies est valorisante. On encourage la liberté de ton dès le plus jeune âge et on éduque au respect de la personne avant le genre. Par exemple au Sahara, une femme divorcée n’est ni rejetée ni pestiférée ; au contraire elle est accueillie par une fête au sein de sa famille qui la soutiendra et en aura la charge ainsi que ses enfants dans sa nouvelle vie.

Ceci permet à la femme de ne pas hésiter à partir si elle est en souffrance chez son mari sans peur d’être rejetée elle et ses enfants comme c’est le cas ailleurs. La culture hassanie a inscrit la femme dans un statut qui fait hélas office d’exception, mais qu’il m’a été intéressant d’évoquer à travers cet ouvrage qui sera publié en 2022.

Pouvez-vous nous présenter votre ouvrage « Elles Toutes, leurs histoires » paru en 2020?

Il s’agit d’une enquête sur les victimes de féminicides d’avril 2019 à avril 2020. J’y dénonce les dysfonctionnements judiciaires dans les affaires de féminicides en France, prise en charge des victimes dans les commissariats, gestion du droit de garde par les juges des affaires familiales encore mal formés à ces questions-là et qui continuent de faire primer le lien filial sur l’intérêt de la mère et des enfants. La surcharge aussi des tribunaux qui mène à de terribles injustices. Comme Julie, cette femme de 35  ans et mère de deux enfants, qui avait porté plainte 5 fois contre son ex-mari violent. Le juge des affaires familiales, malgré les témoignages et les menaces de mort, lui avait retiré la garde pour la confier au père. Elle a demandé une mesure de protection qui lui avait été refusée. Le 03 mars 2019, Julie a été tuée par son ex-mari.

Quel en est le principal message?

Je plonge le lecteur dans la réalité du terrain, sans analyse. Juste les faits : ceux de 152 femmes tuées par leur ex-mari ou ex-compagnon en une année en France. Les victimes sont âgées de 15 à 90 ans. Elles sont issues de toutes catégories socio-culturelles, de la mère au foyer à la scientifique de renommée internationale. C’est volontairement très factuel, un prénom, une ville et l’histoire brève de cette femme assassinée. Je dénonce les dysfonctionnements judiciaires qui ont mené à la mort de nombreuses femmes en France qui n’ont pas été protégées par la justice. En France, nous sommes loin de l’enjeu, pourtant il existe des solutions qui ont fait leurs preuves.  Par exemple, nos voisins espagnols ont une bien meilleure prise en charge des femmes victimes de violence, avec des tribunaux dédiés et une éviction rapide du conjoint violent du domicile conjugal. Dans les commissariats aussi, les policiers sont spécialisés dans ces questions de violences.

Cela fait déjà 17 ans que les députés espagnols ont voté à l’unanimité la loi de protection intégrale contre les violences de genre, avec des mesures comme la spécialisation des tribunaux et le bracelet électronique. En France, on a commencé timidement le déploiement du bracelet cette année, mais aucune spécialisation des tribunaux n’a encore été initiée. En Espagne, 50 femmes ont été tuées par leurs conjoints ou ex l’an dernier contre 152 en France.

Qu’est ce qui vous a amenée à travailler de plus près sur les violences conjugales à l’égard des femmes ?

Je suis une humaniste, j’ai choisi d’être journaliste pour combattre les injustices. Je dénonce toutes formes de violences, qu’elles soient à l’égard des femmes, des hommes ou des enfants. Je viens de deux cultures où le droit de la femme est omniprésent : la culture saharienne et française, le droit de la femme y est omniprésent. La femme sahraouie a toujours été une femme libre et forte ainsi que la femme française qui a été marquée par la quête égalitaire initiée dans les années 60.

Quelles sont les causes de la persistance des violences à l’égard des femmes dans le monde malgré les efforts pour les endiguer ?

Je ne suis pas convaincue qu’il y ait un si grand effort pour les endiguer. Je pense objectivement que le premier pilier dans cette lutte contre les violences faites aux femmes doit être l’éducation. La diabolisation de la femme doit cesser. Nous devons tendre vers une quête égalitaire qui ne se fera pas, à mon sens, sans l’homme. Elle doit s’inscrire au contraire dans un combat humaniste et non genré. Enseigner aux petits garçons comme aux petites filles qu’ils sont égaux et que le respect de leur droit est aussi important chez l’un comme chez l’autre.

Ce que vous avez dépeint en France dans le cadre de votre ouvrage, pensez-vous que ce soit la même réalité en Afrique ?

Les féminicides n’ont pas lieu qu’en France, malheureusement il y en a partout dans le monde. L’Afrique est composée d’une cinquantaine de pays, on ne peut parler de réalité africaine, mais bien de pluralité de situations et conditions. Il faut poursuivre ce combat contre les violences faites aux humains peu importe le pays, la culture ou le lieu.

Comment éliminer aujourd’hui les violences à l’égard des femmes dans le monde et en Afrique, en particulier ?

On ne peut apporter de réponse unique en parlant de l’Afrique, un continent aux mille et une cultures et aux mille et une réalités. La condition de la femme à Nouadhibou n’est pas celle de la femme à Brazzaville ou à Kinshasa.

Et au sein d’un même pays, la condition de la femme marocaine dans le Haut-Atlas n’est pas celle des femmes de Casablanca ou encore de Laâyoune. Et là encore, il y a tellement de conditions différentes au sein d’une même rue. Je crois que c’est un combat universel qui n’est pas propre à une région, une ville ou un continent. Il y a autant de conditions que de femmes.

Pour combattre ces violences, il faut travailler sur les mentalités, celle de l’égalité homme-femmes et de la dédiabolisation du féminin pour commencer.

Et ce travail de longue haleine doit être adapté à la réalité du pays et de sa culture.

Pour l’excision dans certains pays d’Afrique par exemple, tant qu’un changement de mentalité sur les souffrances générées par cette mutilation sexuelle ne sera pas enfin admis et compris, de jeunes filles innocentes continueront d’en faire les frais au nom de la négation de leur sexualité, qui elle aussi, s’inscrit dans cette diabolisation du féminin. C’est le fond du problème. La première barrière est donc celle de l’éducation. Ensuite, la prise en charge gouvernementale des victimes est fondamentale, tant que les femmes victimes de violence porteront ce lourd fardeau de la culpabilité, qu’elles n’auront pas de soutien moral, social, économique, administratif et judiciaire, les violences à l’égard des femmes ne pourront pas reculer.

La société toute entière doit soutenir ces victimes de violences. Cette émancipation passe évidemment aussi par l’indépendance économique qui est un frein au départ de ses femmes qui n’ont d’autre horizon que de subir en silence, sans parler du tabou que ce sujet représente dans plusieurs sociétés.

La libération de la parole est essentielle dans ce combat et on doit continuer de sensibiliser les petits et les grands sur le respect des droits humains partout dans le monde.

Enfin, je pense qu’une femme libre est une femme qui s’aime.

Dédiabolisons les petites filles sur leur nature féminine, enseignons-leur à s’aimer et à s’accepter. Changeons les représentations du féminin également auprès des petits garçons et peut-être qu’un jour ensemble, ils construiront une société plus égalitaire et moins violente.

 

Propos recueillis par Danielle Engolo