Quand Lorna Rutto quitte son poste de banquière en 2009, son entourage la croit folle. Bien payée, elle ne se sent pourtant pas à sa place. Elle décide de laisser son bureau confortable pour côtoyer plutôt les poubelles et décharges de Nairobi où elle ramasse les déchets plastiques qu’elle recycle en matériaux de construction. En dix ans, son entreprise, Ecopost, a recyclé des millions de tonnes de déchets au Kenya et contribué à lutter contre la déforestation dans le pays.
C’est en 1984 que Lorna Lutto voit le jour. Elle passe toute son enfance et son adolescence dans un bidonville du Kenya où pollution, problèmes de gestion des déchets, les eaux usées, les odeurs des égoûts…sont le lot des habitants. C’est à peine que les services de ramassage d’ordures passent dans le quartier. Très jeune, la jeune Kenyane est embarrassée par cette situation et veut changer les choses. Elle collecte des ordures en plastique qu’elle fond et en fait des ornements qu’elle vend à ses camarades, pour se faire de l’argent. « Ce n’était pas tellement les boucles que je confectionnais qui m’intéressaient, mais je voulais juste me débarrasser de tout ce plastique », confie-t-elle à Cartier women’s initiative.
Vivant dans un quartier défavorisé, avec d’énormes soucis économiques, elle opte pour des études en comptabilité, pour améliorer sa situation. Après une licence en « Finance et comptabilité », elle est aussitôt embauchée en 2008 au sein d’Impérial Bank, l’une des plus grandes banques du Kenya. Mais ce qui avait été toujours son rêve ne parvient pas à la combler. Malgré le confort et un très bon salaire, elle décide de quitter deux ans plus tard, son poste, car le travail qu’elle fait ne lui permet pas d’impacter le monde qui l’entoure. « Il y’avait quelque chose qui sonnait faux. Je sentais au fond de moi que la banque ne comblait pas vraiment mon besoin. Je devais trouver un domaine où mon travail faisait changer les choses. Aujourd’hui, avec les déchets c’est différent. Vous savez les déchets eux ne font pas la différence entre riches et pauvres », confie-t-elle à Canal +.
Ecopost : 30 tonnes de déchets transformés par mois
En 2009, avec des économies d’un peu plus de 5000 dollars, de l’argent qu’elle avait pu épargner en ayant participé à un concours de rédaction baptisé Enablis Business Award, elle décide de faire un saut dans l’entreprenariat, avec pour défi de changer la société. Avec un jeune ingénieur biochimiste et passionné d’environnement qu’elle a rencontré dans son ancien travail, elle se lance dans l’aventure et crée Ecopost, qui transforme les déchets plastiques en matériaux de construction.
Tout au début, la petite usine transforme 5 tonnes de déchets plastiques par mois. Mais avec le temps, cette capacité va vite être augmentée, puisque le pays produit 100 000 tonnes de déchets par jour, dont 20% de déchets plastiques. Aujourd’hui, Ecopost achète chaque mois 30 tonnes de déchets qui sont triés et ensuite transformés en matériaux de construction qui peuvent être utilisés pour construire des clôtures, des maisons, des panneaux de signalisation… en lieu et place du bois et du fer, réduisant ainsi l’abattage d’arbres. L’entreprise aurait recyclé depuis sa création 3,5 millions de kilos de déchets plastiques, ce qui aurait permis non seulement de lutter contre la déforestation grandissante dans le pays, mais aussi de recycler les déchets plastiques. En 2010, Lorna Rutto a été récompensée du Cartier Women’s Initiative Awards pour son projet.
Si en 2015, l’entreprise a pu faire un chiffre d’affaires de 65 millions de FCFA (100 milles euros), le chemin vers la réussite n’a pas été si facile. Après avoir ouvert son usine en 2009, la jeune entrepreneure a été vite confrontée à la difficulté de payer ses ouvriers. « On se battait pour faire marcher l’usine parce qu’on n’avait pas de fonds de roulement. C’était dur de travailler et de savoir que je n’avais pas d’argent pour payer les ouvriers. J’empruntais au maximum, car sinon ça allait entrainer une émeute », confie-t-elle à Canal+. Elle a dû également s’imposer dans un milieu masculin. « Certaines personnes me critiquaient et me demandaient ce que je faisais là et pourquoi j’avais quitté mon travail qui payait bien », souligne-t-elle à NTV Kenya. Malgré ces obstacles, Ecopost aurait créé à ce jour, plus de 50 emplois directs et 2000 emplois indirects pour les personnes vivant dans des communautés marginalisées.