Entre ses casquettes d’écrivaine, d’éditrice et de consultante en programmation d’événements culturels et littéraires, Rabiaa Marhouch est sur tous les fronts pour promouvoir la littérature africaine. En 2023, elle a fondé « Africamoude », une maison d’édition panafricaine, dédiée à faire rayonner le livre africain.
Si aujourd’hui, sa carrière tourne autour du livre, de la littérature, rien ne prédestinait pourtant Rabiaa Marhouch à embrasser cet univers et à y réussir. Née à M’Zouda, un petit village dans la région d’Al Haouz, où l’accès aux études était ardu, elle parvient malgré tout à obtenir son Baccalauréat et se forme aux soins infirmiers. Sage-femme à Kénitra pendant une dizaine d’années, la jeune femme décide de reprendre ses études en parallèle et sort major de sa promotion en licence de littérature française, à l’université Mohammed V de Rabat. C’est alors qu’elle s’envole pour Montpellier en France, laissant tout derrière elle, pour poursuivre ses études à l’université Paul Valery. « À l’époque, quitter mon poste de fonctionnaire était une décision complètement loufoque pour mon entourage. Mais, je n’ai pas hésité, parce que j’ai toujours su ce que je voulais faire », confie-t-elle à Africa Women Experts. Après un Master en littérature francophone et interculturalité, ainsi qu’un master en psychanalyse et esthétique, elle s’inscrit en doctorat. Elle consacre ses recherches à l’analyse de la place des écrivains originaires des anciennes colonies dans la littérature française et mondiale, en se focalisant sur les travaux de l’écrivaine franco-algérienne Nina Bouraoui. Une thèse qu’elle soutient avec succès en 2017 et qui sera publiée en 2023 dans les presses universitaires de Rennes.
Promouvoir la littérature africaine au Maroc
Alors qu’elle est en France, elle travaille comme professeur de français, mais aussi comme chroniqueuse littéraire au Courrier de Genève. En 2021, elle est contactée par une fondation suisse pour publier des livres issus d’ateliers d’écriture pour la paix en Afrique. « En effet, une donatrice de la Fondation suisse Corymbo avait initié des ateliers d’écriture dans les Grands Lacs africains et voulait publier tous ces livres. Elle était donc à la recherche d’une maison d’édition professionnelle», confie-t-elle. C’est ainsi qu’elle crée « Sembura » qui deviendra la première collection littéraire panafricaine dans une maison d’édition marocaine. La collection publie, notamment quatre anthologies, avec de jeunes écrivains de la République Démocratique du Congo (RDC), du Burundi, du Rwanda …, ainsi que des romans, à l’instar de « Je fête, donc je suis » du Burundais Juvénal Ngorwanubusa, « Par Dieu, cette histoire est mon histoire » d’Abdelfattah Kilito, « Percussions » d’Angelo Bayock (Mention spéciale du Prix Orange du livre en Afrique, 2024)…
En 2022, après des années en France, elle retourne au Maroc avec sa famille et contribue à mettre en place avec l’écrivain Eugène Ebodé, la Chaire des littératures et des arts africains à l’Académie du Royaume du Maroc, dont l’écrivain camerounais est administrateur. Un projet à forte résonance culturelle, s’inscrivant dans la coopération Sud-Sud, et visant à promouvoir la culture et les arts africains. « Le rôle de la chaire est aussi de montrer les aspects de la littérature africaine qui ont été soit occultés, soit oubliés, entre autres, les écritures en Afrique, l’historicité de l’Afrique, sa richesse linguistique… de les mettre en avant pour le public marocain et international », confie-t-elle.
Africamoude, le livre pour bâtir des passerelles en Afrique
En 2023, elle décide de changer de cap et crée sa propre maison d’édition, « Africamoude » . Basée à Rabat, celle-ci vise à promouvoir les littératures africaines et à faciliter la circulation du livre en Afrique. « Nos talents africains publient et produisent des richesses dans des maisons d’édition en dehors du continent. Le drame aujourd’hui est que le livre ne circule pas en Afrique. Nous n’avons donc pas un marché transnational du livre, bien que son potentiel soit énorme. C’est pourquoi il faut qu’on prenne à bras le corps le secteur du livre, notamment les circuits de diffusion et de distribution. Il faut également des maisons d’édition en Afrique crédibles et sérieuses pour attirer et publier ces écrivains », explique-t-elle.
Autre combat porté par la maison d’édition, décloisonner le Nord et le Sud de l’Afrique, à travers le livre. « On ne se connaît pas. Il faut favoriser une connaissance mutuelle, des classiques africains subsahariens et maghrébins, par exemple. J’ai découvert la littérature subsaharienne à Montpellier. La seule œuvre que j’ai étudiée au Maroc, c’était l’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane. Dans les universités d’Afrique subsaharienne, on n’étudie pas non plus les livres des écrivains maghrébins. En Afrique, on connaît mieux ce qu’on publie en Allemagne, en France, que ce qui est publié chez le voisin », souligne-t-elle. La maison d’édition est engagée à ce titre dans des collaborations au Cameroun, au Gabon, au Sénégal, en Guinée, en Afrique du Sud… pour mettre en place un circuit fiable, régulier et fluide pour la circulation du livre africain sur le continent. Elle ambitionne aussi de décrocher les droits pour rééditer de grands classiques africains, afin de les rendre disponibles sur le continent à des prix accessibles au public. C’est ainsi qu’elle réédite, dans sa collection « Baobab, Classiques africains », « La Langue d’Adam », une œuvre essentielle de l’académicien marocain Abdelfettah Kilito.
Fiction, théâtre, poésie, contes, littérature de jeunesse, biographies, beaux-livres…la maison d’édition publie différents genres littéraires grâce à ses 7 collections baptisées symboliquement de noms d’arbres, notamment le Fromager, le Flamboyant, le Jacaranda, le Dragonnier, l’Arganier, le Baobab, le Jujubier…Une ode à la nature, mais aussi à la création. Avec au compteur 3 livres publiés à ce jour, elle travaille actuellement sur d’autres ouvrages, entre autres un livre sur le développement durable et l’olympisme en Afrique, dans le cadre des Jeux olympiques des jeunes prévus au Sénégal en 2026, un ouvrage collectif sur l’écrivain-cinéaste Ousmane Sembène, des livres de jeunesse et une anthologie de nouvelles intitulée « L’Afrique que nous voulons ! », issue du concours d’écriture pour les jeunes en Afrique que la maison d’édition coorganise avec son homologue sud-africaine KwaziThina. Le concours a enregistré la participation de 27 pays africains, en français et en anglais ; et les 50 jeunes auteurs sélectionnés par le jury seront publiés dans les deux maisons d’édition.
Éditrice, mais aussi écrivaine, Rabiaa Marhouch est l’auteure du roman « Cœur du Volcan ». Un livre inspiré de son passage à Mayotte et dans lequel elle met en lumière une « Afrique souvent oubliée » en raison de sa géographie. En avril dernier, elle a été distinguée en Guinée par un Doctorat honoris causa de l’université Aguibo Barry. Une récompense qui célèbre toute une carrière dédiée à promouvoir l’Afrique et sa littérature.
Danielle France Engolo