Aimée- Danielle Lezou Koffi est experte en genre, présidente de l’association Africa Femmes Initiatives Positives (AFIP) – Afrique et professeure- chercheure à l’Université Félix Houphouët-Boigny en côte d’Ivoire. A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, elle s’exprime sur le leadership féminin en Afrique qui est le thème de l’édition 2021. Les propos.
Qu’en est-il de la représentativité des femmes aux postes de gouvernance et leadership en Afrique?
Ma réaction est mitigée. Il est indéniable que depuis quelques années, l’on assiste à une accélération de la représentation des femmes à des niveaux très élevés de leadership. Pour illustration, la nomination à la tête de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) de Dr. Ngozi Okonjo-Iweala. En 2019, 16 femmes étaient à la tête d’assemblées législatives sur les 75 que compte le continent. Dans le secteur privé, un membre sur quatre des conseils d’administration des entreprises africaines est aujourd’hui une femme, soit (25%), un taux supérieur à celui de l’Europe (23 %). Il y a donc des raisons d’exprimer une certaine satisfaction et de se réjouir des avancées en la matière. Cependant, elles sont loin de constituer une masse critique pour l’atteinte des objectifs d’égalité entre les sexes des Objectifs de Développement Durable (ODD) d’ici 2030. Malheureusement, les femmes sont encore sous-représentées à tous les niveaux des instances de décision (entre 10% et 18% pour la Côte d’Ivoire). Pour me résumer, les lignes bougent certainement, mais beaucoup reste à faire.
Quels sont les mécanismes pour favoriser le leadership féminin en Afrique?
Les initiatives sont nombreuses et visibles à différents niveaux gouvernementaux et dans la société civile. Des pourparlers importants et des plaidoyers sont engagés avec les Etats afin de mettre en place des politiques de discrimination positive dont la mise en œuvre conduit à l’instauration de systèmes de quotas et de définition d’objectifs soutenus par un appareillage juridique. De même, on compte des programmes de formation de leadership féminin pour l’accession des femmes à des postes de haut niveau, des programmes d’accompagnement des femmes candidates à des postes électifs, ainsi que des initiatives d’associations et d’ONG pour la formation en développement personnel et leadership féminin afin de développer la confiance en soi et l’estime de soi. Ces programmes développent la conscience de soi chez les femmes qui comprennent la valeur de leur contribution dans les communautés et se découvrent comme de véritables actrices sociales.
Quels sont les écueils qui freinent aujourd’hui le leadership des Africaines?
Le premier écueil est intrinsèquement lié à l’identité de la femme africaine, le regard qu’elle-même porte sur elle et sur son rôle dans la société. D’abord, la majorité se voit avant tout comme épouse et mère. Bien souvent, ces statuts semblent suffisants à de nombreuses femmes. Ensuite, même quand elles mènent une carrière, leurs choix prennent en compte ces statuts et toute force extérieure de nature à déranger cet équilibre sera rejeté avec, bien souvent, les encouragements de l’environnement. La peur de ne pouvoir trouver un équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale provoque des réticences et bride les femmes. Elles n’osent pas. La peur d’échouer, le déficit de confiance en soi et d’estime de soi constituent le deuxième écueil dans le développement des femmes et leur accession à des niveaux élevés de leadership. Les stéréotypes et autres pesanteurs socioculturelles ont la vie dure. Enfin, l’on pourrait évoquer les ressources financières. Les campagnes pour les postes électifs nécessitent des moyens financiers. Et bien souvent, les femmes n’ont pas les ressources et les soutiens nécessaires.
Quels sont les leviers pour accroitre la présence des femmes dans les postes décisionnels en Afrique?
Le principal levier consiste, selon nous, à développer chez la femme la puissance d’agir. Cette expression que l’on pourrait trouver théorique et que j’emprunte à Judith Butler insiste sur la nécessité, dans la situation où l’on se trouve, de trouver les ressorts pour passer à l’action. Dans des mots simples, je veux dire que les femmes africaines avec leurs spécificités identitaires, leur histoire, leur culture devraient pouvoir être des femmes de leur temps qui participent activement au développement de leur société. Un autre levier fondamental concerne l’implication des garçons et des hommes adultes dans la promotion de l’égalité des sexes pour combattre les normes sociales. L’éducation de la fille est également un levier essentiel d’égalité des sexes. La solidarité sous différentes formes est une valeur essentielle à promouvoir. Différentes actions participent à la promouvoir, notamment les activités de partage d’expérience, de valorisation de femmes au parcours remarquable, le mentorat et le réseautage. Enfin, la puissance d’agir évolue de pair avec l’audace d’agir. Shirley Chisholm l’illustre fort à propos dans une formule forte: « S’ils ne vous donnent pas de siège à la table, apportez une chaise pliante ».
Un mot à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes.
Le thème de cette année : « Leadership féminin : pour un futur égalitaire dans le monde de la Covid-19 » exprime la crainte que cette pandémie ne remette en cause les acquis des luttes féministes. L’on sait qu’en contexte de crise, les femmes dont la situation est déjà précaire, payent un lourd tribut. On le sait, la COVID-19 a exacerbé toutes les violences vécues par les femmes : physiques, psychologiques, économiques… Les inégalités de sexe sont de plus en plus criardes au détriment des femmes. Il devient urgent de trouver les ressorts pour résister et rebondir. Il s’agit pour les femmes de développer leur résilience en adoptant une démarche constructive : identifier leurs forces ; faire des choix qui leur correspondent ; se focaliser sur le positif et enfin, développer la maîtrise de soi. Dans le contexte actuel, celles qui sauront se montrer flexibles et enthousiastes face aux mutations qui s’annoncent s’en sortiront certainement.